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Piet Mondrian, Composition No. VI

En 1913, Mondrian commence à s’intéresser de manière approfondie à l’architecture de Paris. Les rues et certains bâtiments de la métropole française le fascinent, il y voit un environnement déjà ordonné par l’esprit humain. Il produit de nombreux dessins de façades et de toits. L’une de ces vues, probablement esquissée par Mondrian à partir de la fenêtre de son atelier de la rue du Départ, revêt une importance particulière. Elle montre un bâtiment partiellement démoli. Par le mur latéral éventré, on aperçoit la structure interne et l’agencement des étages, mais aussi la couleur des murs et les papiers peints des espaces intérieurs. Cette esquisse forme la base de Composition No. VI et d’autres peintures à l’huile jusqu’en 1915.

 

Dans Composition No. VI, Mondrian s’inspire cependant moins de l’apparence figurative de l’immeuble que de ses caractéristiques structurelles et chromatiques. La composition finale est le résultat d’un processus artistique d’élaboration progressive typique pour Mondrian, au cours duquel il modifie sans cesse le positionnement des lignes et le choix des couleurs. Il développe une composition stricte et géométrique, dans laquelle dominent les lignes verticales et horizontales. On y devine déjà l’agencement pictural des tableaux plus tardifs de Mondrian. Les lignes forment la structure rythmique d’une composition à la planéité insistante. Mais le choix de tons clairs, l’application non opaque de la peinture et la visibilité de grandes parties de la toile enduite laissent émerger une impression d’avant-plan et d’arrière-plan.

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Les images de l’œuvre réalisées au moyen de différents procédés d’imagerie livrent des informations différentes : lumière visible, lumière rasante, lumière transmise, fluorescence sous UV, réflectographie infrarouge, réflectographie infrarouge transmise, radiographie

Un travail de détective pour retracer l’historique de restauration

Afin de lire et de comprendre un tableau en son état actuel, il est important de connaître son historique de restauration et sa provenance. Sans ces connaissances, il est difficile d’expliquer certains aspects de la peinture ou de prendre des décisions quant aux interventions qui pourraient s’avérer nécessaires ou possibles. Pour retracer cet historique, on peut s’appuyer sur d’anciennes photos, des rapports et témoignages, des correspondances et des traces sur l’œuvre elle-même. Dans ce qui suit, nous détaillons l’historique de restauration mouvementé de Composition No. VI.

Afin de lire et de comprendre un tableau en son état actuel, il est important de connaître son historique de restauration et sa provenance. Sans ces connaissances, il est difficile d’expliquer certains aspects de la peinture ou de prendre des décisions quant aux interventions qui pourraient s’avérer nécessaires ou possibles. Pour retracer cet historique, on peut s’appuyer sur d’anciennes photos, des rapports et témoignages, des correspondances et des traces sur l’œuvre elle-même. Dans ce qui suit, nous détaillons l’historique de restauration mouvementé de Composition No. VI.

 

 

 

Des photographies témoignent de l’état d’origine

Deux clichés noir et blanc datant de 1971, pris dans le département de conservation du MoMA avant l’intervention, s’avèrent particulièrement précieux pour retracer l’historique de restauration du tableau. Au microscope, la photographie de la face avant montre des trous de punaise dus à des accrochages temporaires et des traits apparents d’un dessin sous-jacent, aujourd’hui disparus. La photographie du revers du tableau montre encore le rabat de toile d’origine, coupé lors de la restauration de 1972. On y trouvait le premier titre Composition No. VI et d’autres étiquettes, utiles pour les recherches de provenance.

Les deux images indiquent aussi aux restaurateurs comment la toile a été enduite : sur tous les côtés sauf le haut, l’apprêt s’étendait jusqu’au bord. La toile était donc déjà enduite lors de sa tension et elle a été taillée dans une pièce de tissu plus grande. Les trous de punaise dans les angles du tableau suggèrent que la toile a été tendue de manière provisoire avant d’être montée sur le châssis. Cela correspond aux dires de témoins de l’époque, selon lesquels Mondrian accrochait parfois ses toiles sur une table pour les peindre.

 

La restauration irréversible de 1972

L’intervention majeure à laquelle a été soumis le tableau date de 1972, ainsi que le documentent les dossiers de restauration du MoMA. La toile a alors vraisemblablement été détachée du châssis d’origine et collée sur un deuxième support au moyen de cire et de chaleur à des fins de consolidation (rentoilage). La couche picturale a été soumise à un nettoyage invasif et a été recouverte d’une nouvelle couche de résine acrylique. Ces interventions radicales ont réduit l’empâtement des couleurs (structure de la surface), effacé des traits d’origine du dessin sous-jacent et aminci en partie l’apprêt du fond blanc.

 

Ernst Beyeler et son sens aigu de l’intention artistique

Après avoir acquis le tableau en 1989, Ernst Beyeler a fait inverser ces interventions dans la mesure du possible afin de se rapprocher de l’intention artistique d’origine. Entre autres, le rentoilage a été démonté afin de rendre à nouveau visible la signature peinte au dos par Mondrian. Il ressort de correspondances de l’époque que la reconstitution d’un encadrement d’origine a également été discutée et tentée. Après avoir rebouché et retouché certains des trous de punaise en 1997, seules des mesures de conservation préventive ont été entreprises.

Photographies en noir et blanc de 1971 du MoMA avant la restauration de 1972, cartographie des trous de punaise visibles au microscope, suivies des photographies de l’état du tableau en 1990, avant démontage du rentoilage, recto et verso du tableau tels qu’ils apparaissent aujourd’hui

 

 

 

 

 

 

 

 

Pendant cette opération, un deuxième support (le plus souvent une toile) est collé sur l’envers du support d’origine au moyen de colle ou d’un mélange de cire et de résine. La substance adhésive est appliquée à l’aide de chaleur, pénètre le textile d’origine et en partie aussi la couche de peinture, altérant l’éclat et écrasant la couche picturale. Si le deuxième support est démonté par la suite, des restes d’adhésif subsistent dans la couche picturale. L’intégrité de l’œuvre (c’est-à-dire son état d’origine) s’en trouve à jamais altérée. Aujourd’hui, on évite donc de procéder à une telle intervention car elle s’accompagne inévitablement de modifications irréversibles de la peinture et du support textile.

De l’esquisse au tableau final

L’esquisse accompagne Mondrian tout au long de son œuvre

L’importance de l’esquisse pour le processus de travail de Mondrian est décrite par Robert Welsh en 1980 dans son essai «Mondrian dessinateur». Dans les années 1913 à 1915, il réalise ainsi un nombre particulièrement important d’esquisses et d’études afin de se familiariser avec le style pictural cubiste. Ces périodes de changement de style s’accompagnent aussi plus tard d’un nombre accru d’esquisses. Cela montre que Mondrian a recourt à l’esquisse lorsqu’il cherche à résoudre des problèmes de composition. La peinture de Mondrian traduit elle aussi son maniement familier des ustensiles du dessinateur. Pour commencer, il hachure les surfaces comme dans ses esquisses, et il utilise le fusain et des bandes de papier pour expérimenter sur la toile des modifications de composition.

Prenant pour point de départ de Composition No. VI une esquisse représentant un bâtiment parisien, Mondrian a tout d’abord dessiné au fusain sur le support textile la composition abstraite des lignes noires. Ces traits de fusain granuleux apparaissent en partie encore aujourd’hui sous les lignes noires.

Il est ensuite repassé sur ces lignes esquissées avec de la peinture noire liquide et probablement avec une règle, puis a commencé à remplir les plages de couleur. Cette œuvre offre un bel exemple de la manière rapide dont travaille Mondrian, proche de l’esquisse, dont le maniement du pinceau apparaît sur la radiographie . En effet, les coups de pinceau rappellent les hachures de ses esquisses. Les plages de couleur sont exécutées très rapidement, certaines couleurs se fondant sur la toile en mouillé sur mouillé. Pour cette œuvre, Mondrian avait déjà réfléchi au choix des couleurs au stade de l’esquisse, car on peut voir des initiales comme «B» pour bleu et «G» pour gris.

 

L’artiste est son propre pire critique

Mondrian n’était vraisemblablement pas encore satisfait de son œuvre : toujours est-il qu’il la reprend entre les expositions de 1914 et 1915, ou peu après. Comment le savons-nous? Nous le voyons aux modifications de composition des lignes noires. La radiographie montre que toutes les zones dans lesquelles se trouvent des lignes noires sont sombres, car elles ont été peintes avec un pigment non métallique (noir d’os) et peu de blanc de plomb. En revanche, on voit que les zones bleues, grises et beiges ont été réalisées avec un pourcentage élevé de blanc de plomb et apparaissent donc en blanc à la radiographie. Les lignes noires rajoutées ultérieurement apparaissent à peine dans la radiographie, étant donné qu’elles se situent sur la couche picturale au blanc de plomb.

 

D’une part, les lignes noires supplémentaires ont été exécutées sur peinture sèche, avec pour résultat des lignes aux contours nets. D’autre part, certaines plages de couleur ont été repeintes et des lignes additionnelles ont été tracées par-dessus, se mélangeant à la peinture et donnant lieu à des transitions chromatiques fluides.

Au-delà des lignes noires rajoutées, certaines ont été recouvertes. Cette méthode de travail montre que la peinture relève elle aussi du rapprochement progressif et met en évidence l’élaboration de la  composition et la finalisation du tableau. On peut observer la même chose pour d’autres œuvres de cette période, entre autres Eukalyptus de 1912. On comprend aussi mieux pourquoi Composition No. VI a été soumis à l’exposition de 1914 en tant qu’«ébauche».

 

Image au microscope d’une ligne noire avec dessin sous-jacent au fusain d’apparence granuleuse

 

Radiographie avec et sans lignes rajoutées par Mondrian

 


 

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Eukalyptus

Eukalyptus (1912) est un exemple remarquable de la manière dont Mondrian explore les caractéristiques du style cubiste en termes de composition et de palette de couleurs.

Vers l'aperçu

Obtenez un aperçu du Piet Mondrian Conservation Project et des sept œuvres examinées.

Composition No. XVI

(Compositie I, Arbres)

En dépit de la composition géométrique du tableau, avec ses lignes majoritairement fines et son application de couleur comme esquissée Composition No. XVI paraît léger et translucide.