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Billets

8 octobre 2006 – 18 février 2007

L’intérêt pour toutes les formes et tous les visages d’Eros — l’amour, la passion et le désir, l’appétit et l’union charnels — a été et reste une des impulsions majeures de la création artistique. Dans une grande exposition sous forme de deux volets, la Fondation Beyeler se consacre à Eros, thème majeur de l'histoire de l'art. Dans ce contexte, elle présente parti-culièrement des œuvres d'artistes qui ont fait d'Eros le véritable moteur de leur création. Après la première exposition centrée autour de deux pionniers de l’art moderne, Auguste Rodin et Pablo Picasso, la seconde partie intitulée Eros dans l’art moderne propose, en partant d’un angle de vue plus large, un vaste panorama comptant plus de 200 œuvres. On peut découvrir les différentes appréhensions et évolutions de l’érotisme dans l’art en partant des débuts du modernisme pour parcourir tout le XXe siècle avant d’arriver à l’actualité la plus récente.

Certaines de ces œuvres présentent l’érotisme avec une clarté sans fard tandis que d’autres choisissent une forme plus allusive qui ne se révèle qu’à un regard approfondi. A cet égard, il convient d’accorder une attention toute particulière aux installations spatiales post-surréalistes de Rebecca Horn. Presque tous les moyens d’expression artistique de l’art moderne et contem-porain sont représentés dans cette exposition : la peinture aussi bien que la sculpture, la vidéo et le cinéma, mais aussi la gravure, le dessin et la photographie.

Cette exposition est organisée en collaboration avec le BA-CA Kunstforum de Vienne, où on pourra la voir entre le 1er mars et le 22 juillet 2007.

Notices de Salles 

ŒUVRE

 
Paul Cézanne, La Tentation de saint Antoine, vers 1875-77. Huile sur toile, 47 x 56 cm, Musée d'Orsay, Paris.

Paul Cézanne

Cézanne raconte l’histoire de la tentation de saint Antoine d’une manière tout à fait originale tant par le contenu que par la forme. Au centre de l’image, la nudité triomphante s’étale devant une étoffe blanc bleuté (devant la toile). Me voici, saint Cézanne, peins-moi! Antoine tombe à genoux, il doit détourner le regard et écarter la femme (la Madone nue dans la mandorle ?) avec ses petits putti. La lumière crue, rayonnante du nu féminin ne tombe pas dans les yeux du saint, mais sur son crâne chauve — ce qui semble ne pas convenir au diable rouge et cornu. Comme saint Antoine, Cézanne ne succombera pas à la beauté de la femme — tout au long de sa vie, il ne peindra jamais de « beaux » nus, agréables au regard —, mais s’attachera toujours à la beauté et à la vérité du tableau.

 
Edgar Degas, Le Petit déjeuner après le bain (Le Bain), vers 1895–98. Pastel sur papier sur carton, 82,5 x 79 cm, Fondation Beyeler, Riehen/Basel

Edgar Degas

Degas ne laisse pas planer son corps de femme n’importe comment dans l’espace, comme sur un instantané photographique, figé sur une jambe. Sa mise en scène conduit au-delà du moment présent, au-delà de l’instantané. C’est par l’effet des seuls moyens artistiques — la précision de la composition, la répartition des poids et des espaces intermédiaires, le cadrage, les lignes et l’application spectaculaire de la couleur — que la femme sort véritablement de son bain. Nous admirons moins ce pastel parce qu’il reproduit une belle femme que parce que nous pouvons reconstituer et suivre à travers tous les éléments de la représentation le déroulement simple et pourtant complexe du mouvement. Du bain au petit déjeuner. Jamais avant Degas, on n’avait vu le corps féminin de cette façon, jamais on ne l’avait peint ainsi. Ici, la scène ne prend plus naissance dans l’objet, elle devient objet de la peinture.

 
Pierre Bonnard, L’Homme et la femme, 1900. Huile sur toile. 115 x 72,5 cm, Musée d’Orsay, Paris. © 2006 ProLitteris, Zürich

Pierre Bonnard

Bonnard n’a pas seulement été un coloriste de génie, mais également un maître de la représentation des nuances psychologiques. La situation qu’il nous présente ici n’a vraiment rien de spectaculaire : un homme et une femme, elle est nue et accroupie sur un lit, elle regarde droit devant elle, il est debout à ses côtés, presque entièrement dévêtu ; manifestement, il est en train de retirer sa chemise. Le visage de l’homme est indifférent, plutôt sérieux que gai cependant. Ils sont séparés par une sorte de paravent, mais apparaissent clairement comme un couple sur le tableau. Serait-ce une scène de bordel ? Impossible à dire. On ne peut cependant échapper à l’impression que l’homme et la femme sont étrangers l’un à l’autre. Bonnard aurait-il réussi à représenter ici le sentiment de pudeur soudaine qui s’empare de chacun au moment de révéler sa nudité à l’autre, lors de la première scène d’intimité avec un partenaire ?

 
Salvador Dalí, Le grand masturbateur, 1929. Huile sur toile, 110 x 150 cm, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid. © 2006 ProLitteris, Zürich

Salvador Dalí

Cette toile, réalisée à la suite de la première rencontre de Dalì avec Gala, sa future épouse, peut être interprétée comme le miroir des désirs et des complexes sexuels de l’artiste. La figure du masturbateur est composée d’un grand visage, dont le nez touche le sol et dont l’oeil est clos. Au niveau de la bouche absente, s’agrippe une sauterelle surdimensionnée, dont le corps phallique est assiégé par des fourmis. Le buste d’une femme surgit de ce visage. Elle a approché sa bouche du sexe d’un corps masculin dont on ne voit que la partie inférieure. Le « grand masturbateur » se transforme ainsi en être hybride, sorte de sphinx associant des éléments masculins et féminins. Telle une image onirique dictée par l’inconscient, la figure bisexuée du masturbateur incarne également un idéal du surréalisme.

 
Rebecca Horn, The Lover’s Bed, 1990 (Cadre de lit en fer, papillons et moteur), 116 x 121 x 191 cm, collection privée. Photo: Gunther Lepkowski

Rebecca Horn

Nous voyons un lit métallique vide, au-dessus duquel planent de superbes papillons bleus, qui commencent soudain à battre des ailes et renvoient, même dans le vide, à la présence onirique du sortilège. Ils se rattachent à la vieille Serafina de « Buster’s Bedroom », un film réalisé par Rebecca Horn en 1998 (voir la séquence filmée sur l’écran). Serafina se trouve dans un asile psychiatrique et est entourée de papillons qui lui rappellent ses amants morts. Dans l’installation proprement dite avec le lit, cette séquence filmée, liée à des interprètes concrets (Valentina Cortese et Donald Sutherland), est transportée à un autre moment. Tous les éléments fortuits, éphémères, ont disparu. La vieille femme est partie, et la machinerie célèbre seule dans un ballet du souvenir les âmes des amants défunts, qui voltigent autour du lit vide sous forme de papillons.

Catalogue «EROS dans l'art moderne »

Eros était le nom du dieu grec de l’Amour. Eros désigne également le penchant qui porte l’homme à la connaissance et à l’activité artistique, ainsi que la passion ou l’exaltation en amour. Enfin, la psychanalyse freudienne fait d’Eros une pulsion vitale, l’une des deux pulsions fondamentales. La représentation d’Eros et l’intérêt qu’il suscite en ont fait un motif classique et récurrent dans l’art.

Le catalogue de l’exposition « Eros dans l’art moderne » contient un texte de Konrad Liessmann intitulé « Lien du sang. De l’art et de l’érotisme », une tentative d’approche et un glossaire érotique de A comme Amour fou à Z comme « obszöne Zeichnung », dessin obscène, en passant par S comme scandale.

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